La garantie financière et ses imperfections

Article publié dans Juris Tourisme (Dalloz)

Lorsque le comte de Monte-Cristo apparaît dans le roman d’Alexandre Dumas, c’est à Rome, au milieu d’une jeunesse aristocratique qui visite les antiques et paraît de fêtes en fêtes. C’est le « Grand Tour » pratiqué depuis la fin du XVIe siècle, ce grand tour qui a donné le mot « tourisme ».
À l’époque de Napoléon, on travaillait 200 000 heures pour une vie de 500 000 heures. Aujourd’hui, nous travaillons 68 000 heures pour une vie de 700 000 heures ; nous sommes donc en pleine civilisation des loisirs, qui représentent 8 % du PIB en France en 2019 (6 % en 2021). Une civilisation des loisirs qui n’est pas à l’abri des péripéties de Dame Nature (volcan, tsunami , ouragan, épidémie, etc.) ou géopolitiques (guerres, coups d’États, terrorisme, etc.). Ce sont les très fameuses – aujourd’hui – « circonstances exceptionnelles et inévitables » (CEI) du code du tourisme. En effet, même dans la civilisation des loisirs, les voyages comportent des risques et des aléas, ce que souvent les voyageurs oublient. L’article L. 211-2 du code du tourisme définit la circonstance exceptionnelle et inévitable comme étant « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ».
On notera en premier lieu que cette définition est quasi identique à celle des « circonstances extraordinaires » du règlement (CE) n° 261/2004 sur les droits des passagers, probablement du fait que ces deux notions sont des créations communautaires.

En second lieu, la « circonstance exceptionnelle et inévitable » permet au voyageur de résoudre son contrat sans frais, à condition qu’elle se produise à destination ou à proximité immédiate de la destination, et qu’elle ait des conséquences importantes sur les prestations prévues au contrat ou sur le transport des passagers. Elle permet également au professionnel de résoudre le contrat sans avoir à payer l’indemnité miroir de l’article R. 211-10 (l’indemnité que le voyageur aurait supportée si l’annulation avait été de son fait), mais sans que la condition du lieu où elle se produit ne soit exigée ni même celle des conséquences importantes, pourvu qu’elle empêche le professionnel d’exécuter le contrat.


Ces dispositifs obligent l’agence de voyages qui a reçu le prix à rembourser intégralement le voyageur dans les quatorze jours en cas de résolution du contrat du fait de circonstances exceptionnelles et inévitables, et ce, que l’agence ait elle-même payé ou non ses propres fournisseurs (tour-opérateurs, prestataires, etc.).

Depuis le mois de septembre 2019, les événements se sont enchaînés pour les professionnels du tourisme avec la faillite de deux compagnies aériennes dès le début du mois de septembre 2019 (Aigle Azur et XL Airways), puis la faillite de Thomas Cook le 23 septembre, et dès la fin janvier 2020 la pandémie de Covid-19.


Deux de ces événements pouvaient avoir des conséquences systémiques sur le monde du tourisme et particulièrement sur les garants financiers : l’affaire Thomas Cook et la pandémie de Covid.


Acte I : la faillite de Thomas Cook
L’ampleur de la défaillance de Thomas Cook a mis en péril le principal garant financier des acteurs du tourisme en France.


Au moment de la rédaction de cet article, l’Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST) a quasiment fini de rembourser les voyageurs dont les dossiers ont été déclarés recevables.


Pour cela, les voyageurs ont dû non seulement déclarer leur créance auprès du liquidateur de Thomas Cook dans les deux mois suivant la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc ) du jugement d’ouverture de la procédure collective, mais également effectuer une demande de prise en charge auprès du garant financier dans les trois mois suivant la publication de l’avis de cessation de garantie publié sur le site d’Atout France.


Les consommateurs ont été nombreux à oublier l’une de ces étapes, ce qui a provoqué la non-prise en charge de leur créance.

Ainsi ceux qui n’ont pas déclaré leur créance auprès du liquidateur et n’ont pas demandé à être relevés de leur forclusion dans les six mois ont vu leur demande de prise en charge rejetée par le garant. En effet, la déclaration de créance du voyageur permet ensuite au garant qui l’a remboursé d’être subrogé dans ses droits à l’égard de la liquidation judiciaire.
Cette subrogation n’est pas possible si la créance n’a pas été admise au passif.


Pour ceux qui n’ont pas saisi le garant financier dans le délai de trois mois après la publication de l’avis de cessation de garantie, alors même qu’ils ont effectivement déclaré leur créance auprès du liquidateur, la sanction est quasi immédiate : ils sont forclos sans possibilité d’être relevés de cette forclusion, cette procédure n’étant pas prévue par le code du tourisme.


Les consommateurs ont aussi trouvé que les remboursements ont été tardifs. Il faut ici rappeler que le garant financier a pris en charge, dès l’ouverture de la procédure, les clients se trouvant à destination pour assurer leur rapatriement et ceux qui devaient partir et dont les séjours étaient maintenus, ce qui a représenté des sommes très importantes. Par ailleurs, les
dispositions du code du tourisme lui permettent d’attendre la vérification des créances avant de rembourser les voyageurs dont la créance a été définitivement admise au passif.


Enfin, s’est ajoutée la crise sanitaire qui a ralenti la procédure collective et le processus de vérification des créances.


Néanmoins, ces délais successifs ont, de facto , bénéficié à l’APST qui a mis ce temps à profit pour reconstituer sa trésorerie.

Dans les faits, l’APST, garant financier de Thomas Cook, a utilisé tous les outils dont elle pouvait disposer pour assumer cette défaillance : vente de l’immeuble de son siège social, augmentation des cotisations des adhérents et utilisation des délais de procédure. Elle a ainsi pu faire face à un sinistre qui lui a coûté près de 42 millions d’euros et ressortir de cette
crise majeure, certes fragilisée, mais vivante.

La crise Thomas Cook a également eu des effets indirects : les nombreux prestataires étrangers, laissés sur le carreau après avoir accueilli tout l’été 2019 – sans être payés – les clients de ce voyagiste too big to fale , ont compris que le système de garantie financière ne les protégeait pas et ont supprimé purement et simplement les crédits fournisseurs.


Il en a résulté une crise de liquidités sur certains acteurs qui sont désormais obligés de payer leurs prestataires avant l’arrivée des clients, et par conséquent un risque accru de défaillances.

Acte II : la crise sanitaire

Les traités européens n’étant pas des pactes suicidaires, la faillite de la quasi-totalité des acteurs du tourisme a pu être évitée par des mesures extraordinaires dérogatoires au droit européen :

  • l’ordonnance du 25 mars 2020 a institué un système d’avoirs remboursables, afin de sauvegarder la trésorerie des distributeurs ;
  • les prêts garantis par l’État (PGE) ont aidé, tant les distributeurs que les voyagistes (qui eux ne disposaient pas de la trésorerie des clients), à se constituer des couvertures pour passer la crise ;
  • le recours à l’activité partielle a permis de conserver à moindre coût les salariés et de redémarrer l’activité dans des conditions pas trop dégradées en termes de gestion des ressources humaines ;
  • le fonds de solidarité a favorisé l’attribution de subventions directes au secteur ;
  • les aides « coûts fixes », « rebond » etc.
  • Le système des avoirs mis en place dans plusieurs États membres, dont la France, a quasiment sauvé de la faillite presque toutes les agences de voyages. Si une procédure en manquement a été initiée par la Commission contre la France, cette procédure a été levée du fait que la période concernée était réduite (annulations entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020).

Mais ces avoirs n’ont profité qu’aux distributeurs qui disposaient des acomptes versés par leurs clients, et non aux producteurs qui, n’étant pas encore payés, avaient souvent déjà rémunéré leurs propres fournisseurs (hôtels et compagnies aériennes). Ceux-ci ont donc eu massivement recours aux PGE.


Pendant quasiment une année, il a été pratiquement impossible pour de nouveaux entrants de trouver une garantie financière, le marché s’étant brusquement « gelé », ce qui a soit retardé des projets, soit découragé leurs animateurs.


Néanmoins, la crise sanitaire permet de tirer quelques enseignements :

  • il est plus facile d’arrêter une activité économique que de la redémarrer (voir l’été 2020 et l’hiver 2020-2021). Des effets se font encore sentir aujourd’hui avec des annulations de vols par les compagnies soit parce qu’elles n’ont plus assez de personnel pour faire face à la reprise, soit sur injonction des autorités aéroportuaires pour la même raison ;
  • l’article L. 211-14 du code du tourisme n’est pas adapté à de telles situations : de facto les CEI pèsent sur les distributeurs et les producteurs et, in fine , sur les garants financiers : il est exigé des distributeurs qu’ils remboursent leurs clients alors même qu’ils ont déjà payé leurs fournisseurs, et que cette obligation ne peut être imposée à ceux-ci ou que toute récupération de sommes versées est impossible.

Des pistes peuvent être explorées pour améliorer le système de garantie financière.

En premier lieu, la Commission européenne semble choisir une solution technique visant à réduire l’assiette du risque en interdisant aux distributeurs de prendre des acomptes à plus de trente jours du départ, ou en en réduisant drastiquement le montant. C’est, en tout cas, l’option qui figurait dans la consultation publique mise en place par la Commission européenne sur la modification de la directive Travel. Si cette solution a un intérêt pour le consommateur, elle est en réalité économiquement désastreuse, voire impossible, pour les distributeurs et les producteurs qui devront faire des avances sans recevoir de fonds et vont se retrouver avec des besoins énormes en besoin en fonds de roulement (BFR). En outre, les CEI continueront à peser sur les professionnels qui n’en sont en rien responsables.

La création d’un fonds de garantie à la « manière hollandaise ou québécoise », solution préconisée par l’APST depuis plusieurs années, serait un fonds alimenté à la fois par la contribution des agences et des producteurs, mais aussi par les voyageurs sur la base d’un pourcentage très faible sur tout achat auprès d’un professionnel. La contrepartie à cette
contribution des voyageurs serait la possibilité pour le consommateur d’être indemnisé par le fonds en dehors des cas de faillite de son cocontractant, comme lorsque le voyage doit être annulé en cas de CEI et que les fournisseurs à destination ont été payés et ne remboursent pas. Cela permettrait également de couvrir l’achat de vols secs en agence en cas de faillite de la compagnie, ce qui serait une plus-value pour les agences de voyages à faire valoir auprès de leurs clients par rapport aux achats directs de billets d’avion auprès des compagnies qui ne disposent pas de fonds de garantie. La mise en place d’un tel fonds est à portée de main, puisque le système de réassurance publique mis en place début 2022 vient de recevoir le feu vert de la commission. Ce fonds de réassurance pourrait très bien constituer, à son issue le 31 décembre 2023, l’amorce d’un fonds de garantie pérenne.


Enfin, la mise en place d’une garantie financière obligatoire pour les compagnies aériennes opérant en Europe : un serpent de mer qui fait face au lobbying actif et très efficace de l’International Air Transport Association (IATA), mais que la Commission européenne commence à envisager sérieusement au regard de la consultation publique qu’elle a organisée sur la réforme du règlement (CE) n° 261/2004.

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