Les pouvoirs du commandant de bord

Le débarquement forcé et musclé d’un passager d’une compagnie aérienne américaine il y a quelques semaines a fait couler beaucoup d’encre et ému le public : Une dénonciation des pratiques du surbooking, de la surréservation, par les compagnies aériennes du monde entier. Mais en réalité il ne s’agissait nullement d’un cas de surréservation.

Rappelons que la surréservation est une pratique courante en matière de transport aérien qui permet aux compagnies aériennes d’optimiser le taux de remplissage de leurs avions, car sur un nombre de billet vendu, il y a toujours un certain nombre de passagers qui manquent à l’appel au moment de l’enregistrement. Lorsque les compagnies réalisent que le nombre de passagers qui vont se présenter à l’embarquement va être supérieur à la capacité de l’appareil, elles tentent, avant l’enregistrement, de trouver des volontaires qui acceptent de prendre le vol suivant moyennant compensations financières, obligatoires en Europe en application du règlement CE 261-2004 et aux États-Unis et au Canada où il existe des législations spécifiques accordant également des indemnisations. Si la compagnie ne trouve pas de volontaire, les premiers arrivés à l’enregistrement seront les premiers servis.

Dans le cas qui nous occupe, le passager en question se trouvait à bord de l’appareil au moment où il a été débarqué. Cela signifie qu’il avait donc passé les formalités d’enregistrement et disposait d’une carte d’accès à bord avec un numéro de siège. Il ne s’agit donc pas d’un cas de surréservation. La compagnie en question a d’ailleurs expliqué qu’il s’agissait de libérer de la place pour permettre à certains de ses propres employés d’emprunter ce vol car ils devaient se rendre d’urgence dans la ville de destination. On ignore le critère que la compagnie a utilisé pour choisir de débarquer ce passager plutôt qu’un autre.

Cette opération de débarquement musclée est-elle justifiée légalement ?

Cette question nous amène à nous poser la question des pouvoirs du commandant de bord.

L’article L.6522-3 du code des transports fixe les pouvoirs du commandant de bord :

« Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes se trouvant à bord de l’appareil » c’est-à-dire sur l’équipage et les passagers. Dès lors qu’ils sont soumis à son autorité, les passagers doivent obéir au commandant de bord. Cela permet-il de demander de quitter l’appareil à un passager disposant d’un billet valable et d’une carte d’embarquement avec attribution d’un siège numéroté ?

La réponse est fixée par le code des transports :

« Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l’équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l’aéronef ».

Le commandant de bord peut donc débarquer l’un des passagers ou un membre d’équipage, mais uniquement pour les raisons évoquées ci-dessous :

  • Un danger pour la sécurité: par exemple un membre d’équipage ou un passager en état d’ébriété ou très agité ; il n’est pas rare que des passagers ayant proférés des menaces contre l’équipage soient contraints de quitter l’appareil, y compris lorsque le vol a commencé (nous avons en mémoire le cas de vols procédant à des atterrissages prématurés pour débarquer des passagers).
  • Un danger pour la santé: Lorsque par exemple un passager est manifestement malade ou pas en état de voyager sans un accompagnement médical.
  • Un danger pour la salubrité: C’est aussi le cas du passager en état d’ébriété.
  • Un danger pour le bon ordre à bord de l’aéronef : Des commandants de bord ont ainsi pu demander le débarquement de passagers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire et de leur escorte en raison du fait que cette expulsion ne se passait pas correctement.

Nous observons qu’aucun de ces motifs ne peut être retenu à l’encontre du passager qui a été débarqué par la compagnie américaine il y a quelques semaines. Certes, on pourrait reprocher à ce passager de ne pas avoir obéit au commandant de bord qui lui avait demandé de quitter l’appareil et qui pour cette raison a fait appel aux services de police, mais l’ordre de quitter l’appareil étant lui-même illégal le passager n’était pas tenu de l’exécuter.

Quels sont les autres pouvoirs du commandant de bord ?

Tout d’abord, rappelons que les dispositions évoquées ci-dessus concernent l’équipage, les passagers, mais aussi le chargement, qui peut donc, lui aussi, être débarqué pour les mêmes raisons que les passagers.

Certaines circonstances sont également prévues par le code des transports et concernent le chargement pendant le vol :

« En vol, il peut, s’il l’estime nécessaire, larguer tout ou partie du chargement en marchandises ou en combustible, sous réserve d’en rendre compte à l’exploitant. »

Il s’agit de cas qui se produisent régulièrement en ce qui concerne le largage du combustible : En effet, lors du décollage, l’appareil dispose de suffisamment de combustible pour assurer le vol ; cela représente plusieurs dizaines de tonnes de Kérosène d’aviation. Aussi, si un problème technique l’oblige à revenir se poser juste après son décollage, le pilote se trouve avec un appareil trop lourd pour se poser et qu’il doit donc alléger. Pour alléger son appareil, il va donc devoir vidanger ses réservoirs ; cette opération se réalise en général au-dessus de zones inhabitées (forêts ou océans) pour éviter un impact écologique trop important.

Pour ce qui concerne le largage de tout ou partie du chargement en marchandise, je n’ai connaissance que d’un cas (mais il doit en exister d’autres) où un appareil à bout de souffle qui devait gagner de l’altitude pour franchir un relief, a dû vider sa soute à bagages…

Le commandant de bord dispose de pouvoirs important relatés ci-dessus, mais également complétés par les dispositions suivantes :

  • L’équipage est placé sous ses ordres (L.6522-1),
  • Il choisit l’itinéraire, l’altitude de vol, détermine la répartition du chargement, peut différer ou suspendre le départ du vol, modifier l’itinéraire et sa destination, à condition de pouvoir justifier de ses choix (L.6522-2),
  • Responsable du chargement et consignataire de l’appareil, il peut engager les dépenses nécessaires à l’accomplissement de sa mission y compris en empruntant, faire exécuter les réparations nécessaires, prendre les décisions et assurer toutes dépenses nécessaires pour assurer la sécurité des personnes embarquées et la sauvegarde du fret et enfin engager du personnel supplémentaire pour la durée nécessaire à l’achèvement de la mission (L.6522-4).

Ainsi la femme ou l’homme assis à gauche dans le cockpit de votre avion n’est pas un simple chauffeur : c’est tout d’abord un pilote chevronné avec de nombreuses compétences techniques et humaines, mais aussi un homme disposant de pouvoirs importants du fait des responsabilités qui sont les siennes et qui ont un seul but : vous transporter dans les meilleures conditions de sécurité à bon port.

3 réflexions au sujet de « Les pouvoirs du commandant de bord »

  1. Je me suis trouvé, avec mon épouse, dans la même situation, lors d’un embarquement à Saint Denis de la REUNION avec un avion en provenance de MAURICE. En possession de deux cartes d’embarquement avec sièges numérotés, ayant passé toutes les formalités de police, nous sommes retrouvés dans l’avion avec nos deux sièges occupés par des passagers ayant embarqué à MAURICE. Tout le personnel de bord a fait le « forcing » pour nous faire débarquer y compris en nous menaçant d’appeler les forces de police. Devant notre refus,et après une 1/2/ heure de discussions, nous avons pu voir le commandant de bord auquel nous avons demandé de trouver deux G.P. (gratuit passager / personnel de compagnies aériennes), de bien vouloir les débarquer et de nous attribuer leurs deux places. Ce fut chose faite assez rapidement et nous avons fait un retour en 1ère classe (avec champagne).
    Mais ce ne fut pas facile de résister dans le calme (surtout pas d’énervement et d’insultes) car les PNC, entre eux, évitent de se faire débarquer. De plus, la compagnie n’apprécie pas de retarder son départ …
    Claude MORIN

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